marie dubosq

auteur

Poste par marie le 22 - nov - 2011

Jane Blues Explosion

Hier soir mercredi, j’ai dîné chez un homme. Le repas, il faut bien que je le reconnaisse, fut très agréable. Il m’avait dit être fin cuisinier, et cet adjectif qui aurait pu être le signe d’une autosatisfaction déplacée et qu’il n’avait pas hésité à employer à plusieurs reprises, s’avéra juste. Outre la délicatesse des plats qu’il présentait, l’harmonie des couleurs, les goûts, les lumières impeccables, la table qu’il avait dressée rapidement, avec virtuosité, disposant les verres et les assiettes aux formes et aux teintes aléatoires, les serviettes dépareillées, l’atmosphère chaleureuse de la cuisine de ce grand appartement parisien donna à notre conversation une tournure intime et élégante, sans gène ni retenue, presque spontanée.

Nous avons dîné de salades et de poissons, de veloutés d’asperges et de truffes, nous avons parlé d’arts, de comportements humains et de désirs sexuels. Il n’était pas très beau cet homme, et alors que je l’observais je ne lui trouvais qu’un charme inégal. C’est certainement ce dernier point qui m’avait valu d’accepter sans me poser trop de questions son invitation à dîner. D’ailleurs je ne lui avais laissé miroiter aucun espoir de rapprochement, et je ne l’avais pas découragé non plus. J’étais arrivé chez lui à 20h30, nous nous sommes tout de suite assis sur les grandes chaises de part et d’autre de la table en bois clair de la cuisine.

Qu’un homme, que je connaissais à peine  me parle sérieusement et m’apparaissait-il honnêtement de ses inclinations sexuelles, de ses expériences ratées, de ses amours passées, de ses pulsions bizarres et pour certaines réalisées, n’était pas commun. Le ton de sa voix restait toujours léger même si ses propos parfois graves, embarrassants, dénotaient de la confiance qu’il avait choisi de me témoigner. Il évoqua un problème qu’il avoua rencontrer encore aujourd’hui, un problème physique lié, dit-il, à un trop plein d’énergie sexuelle qu’il ne parvenait pas à endiguer. Une douleur récurrente et insupportable, qui lui brûlait les testicules, remontait jusque dans son ventre, jusqu’à le faire vomir, le taraudait régulièrement. Dans ces cas là il lui devenait urgent, vital, constatait-il, d’éjaculer. C’était le seul remède pour résorber cette torture aliénante, le seul à le soulager. Alors qu’il aurait pu la plupart du temps recourir assez facilement à la masturbation, il n’y parvenait pas. Au cours de sa vie d’ailleurs, lorsqu’il avait eu si mal et pas d’autres choix que ce moyen, il ne s’y était jamais réellement adonné sans ressentir une gêne extrême, un dégoût instinctif et viscéral. Je marquais mon étonnement, lui parlais d’amies à moi incapables elles aussi de se masturber, empêchées par tout un tas de raisons, sociales, personnelles, liés à des peurs, à des traumatismes, à ces angoisses que cherchent à résoudre certains magazines à vocation psychologique. Je lui dis ma surprise de découvrir que de telles aversions puissent exister chez les hommes, aucun d’entre eux même parmi les plus proches ne m’avait jamais parlé de ça. Il m’expliqua qu’il n’avait jamais repoussé aucune aide extérieure, qu’il était conscient de l’étrangeté d’un tel comportement, mais qu’aucune thérapie n’avait jusqu’à présent réussi à l’en guérir. Pour empêcher la douleur il n’avait d’autre choix que d’avoir une vie sexuelle intense, presque acharnée, car faire l’amour avec des partenaires, au contraire de se masturber, n’avait jamais posé aucun problème. Il baisait donc à tout va, souvent avec n’importe qui, mais la plupart du temps dans l’optique d’une délivrance salvatrice, d’un soulagement physique irraisonné. Il rit en me disant que généralement il faisait l’amour deux fois, une fois pour ne plus avoir mal, une seconde fois pour être bien sûr qu’il n’avait plus mal.

Comment, après de tels propos, aurais-je pu envisager une relation sexuelle avec cet homme ?

Me revint à l’esprit un événement de ma vie auquel je n’avais plus pensé depuis longtemps, une nuit de mon enfance que je lui relatais par le menu et qui avait sans doute contribué à façonner mon apprentissage de la sexualité. J’avais entre huit et neuf ans, je grandissais dans un bourg du sud de la France, une petite ville coincée entre trois départements, en bordure du fleuve, assez pauvre puisque trop mal située pour y accueillir les touristes, mais avec suffisamment de vignes pour que s’y soit constituée une tranche aisée de familles. Mes parents n’étaient pas viticulteurs mais avaient toutefois assez d’argent pour partir en vacances à l’étranger, pour dîner au restaurant, pour vivre dans une maison grande et isolée, une maison qui reste dans mon souvenir un palais pour les princesses et les chevaliers avec des escaliers en marbre, un solarium, et une énorme cheminée centrale. Sonia qui avait mon âge, vivait elle dans un cabanon fait de bric et de broc, rafistolé avec des planches, entouré par des clapiers et des ronces, envahi par les chats du quartier. Deux petites pièces composaient la maison, une cuisine et une chambre où dormaient ses deux jeunes frères, sa mère et son beau-père, elle-même. Nous étions devenues amies, en tout cas nous avions su stimuler une curiosité réciproque, moi à cause de mon prénom à consonance anglo-saxonne, et elle à cause de son mode de vie proche de la débrouillardise et du nomadisme, donc proche d’un univers qui représentait pour moi l’inconnu et la liberté.

La première fois que je suis allée chez Sonia, j’y ai vu étalé sur la table, à la vue et à la portée de tous, un tas de magazines que je ne connaissais pas. Ceux-là n’étaient pas dédiés à la psychologie, à la grande littérature ou à la politique, comme ceux qui traînaient chez moi, mais comportaient des photographies d’hommes et de femmes nus, jambes écartées, se caressant, ou allongés sur des lits dans des poses explicites. Chez Sonia, j’ai feuilleté mon premier « Playboy », et en plus de la découverte de la pornographie, j’ai eu l’occasion d’apprendre ce qu’était l’hermaphrodisme. Une des revues y était entièrement consacrée, et je me souviens de sa mère, brune et maquillée, toujours vêtue de jupes minuscules et de tee-shirts qu’elle piquait à sa fille, m’expliquant sans jamais toutefois employer le terme technique d’hermaphrodisme, les particularités physiques de certains individus.

La deuxième fois, j’ai dormi chez elle. Tous dans la même pièce donc, par couples, avec la lumière de la lune qui vaguement nous éclairait au travers de la fenêtre sans carreaux. Je me souviens de mon excitation, des rires étouffés dans nos oreillers, des « chut ! chut ! » des deux adultes derrière, et des paroles de Sonia qui m’avait promis une nuit dont je me souviendrais. Effectivement, lorsque les deux petits frères furent endormis et que mon amie et moi le laissâmes croire, nous entendîmes les chuchotements, les rires enfantins, les soupirs et bientôt les cris de la mère de Sonia et de son compagnon. « Encore ! Encore ! N’arrête pas ! »

Sonia et moi étions blotties l’une contre l’autre, nous empêchant de respirer, de pouffer, de bouger. Et les exclamations devenaient de plus en plus sonores, je ne reconnaissais plus les voix, je trouvais totalement incongrus les halètements masculins, les cris de souris de la mère, mais je savais déjà que cela cesserait une fois atteints une limite, un point précis, qui demeuraient pour moi encore inconnus et étrangers, mais qui devaient survenir obligatoirement. Car le concert qui se donnait dans le lit derrière le nôtre était pareil à une symphonie longuement répétée, travaillée, une orchestration où rien n’était laissé au hasard. Et maintenant je pouvais le dire, c’est cette mécanique huilée et ce crescendo parfait qui me projetaient dans un film plutôt que de m’entraîner dans un espace véridique, inscrit dans une réalité palpable qui un jour me deviendrait accessible. J’avais huit ans, et à huit ans je savais déjà que le cinéma était un spectacle, qu’il existait des hommes et des femmes qui incarnaient des vies qui n’étaient pas les leurs, faisaient semblant d’avoir peur, froid, de mourir. J’avais suffisamment lu et vu de films pour savoir à peu près où se situait la frontière entre la fiction et la réalité. Je devinais que la mère de Sonia simulait quelque chose à la manière d’une actrice, et parce qu’elle aimait la collection Arlequin et ses romans à l’eau de rose, parce qu’elle regardait Dallas et se maquillait outrageusement, parce que j’avais pu observer ses comportements, l’entendre parler de ses rêves, de Las Vegas, se croire amoureuse de Sean Connery et de Paul Newman, se prétendre être la sœur de la belle Angélique, je sentais qu’elle adorait le rôle qu’elle jouait cette nuit là. Il ne s’agissait que d’un rôle. Bien sûr, j’ignorais comment aurait dû se dérouler la même scène dans la vraie vie, j’imaginais juste, comme pour les films, que cela devait ressembler à ce qui se passait sur le lit derrière le mien. Cela s’apparentait à quelque chose d’intense, de terrassant, mais à en croire les murmures, les éclats soudains, c’était aussi une source d’amusement. J’ignorais quelle sorte de plaisir une femme était censée trouver avec un homme, mais pour la première fois de ma vie je fus happée par une curiosité qui n’a de cesse encore aujourd’hui de me poursuivre. Car au lieu de m’effrayer, à cause de la violence galopante qu’il révélait, je découvrais que l’acte sexuel était un théâtre où l’on pouvait jouer, mentir, et qu’il était possible à l’inverse d’y atteindre une sensation inconnue, quelque chose qui ne pouvait voir le jour qu’à la lumière de la lune. Quoi ? C’était encore un mystère pour moi bien sûr, mais une énigme qui immanquablement m’attirait.

J’ai fait l’amour, jeune, sans doute trop, et ce ne fut pas une expérience très probante, elle aurait pu devenir traumatisante, mais jusque-là j’ai gardé en tête le souvenir de cette nuit chez Sonia et de la comédie, légère, qui s’y jouait. Un rôle et une comédie, rien de trop grave somme toute.

Le voyage, la route, les hôtels, les maisons inconnues, tous ces lieux qui se rappellent à ma mémoire parce qu’ils ont été eux aussi le théâtre de scènes vécues par moi, partagées avec d’autres, furent tout au long de ma vie jusqu’à ce soir encore chez cet homme, le motif d’expériences, de découvertes liées au sexe. Je le lui dis. Et je lui parlais aussi de ces phrases si souvent entendues, de ces questions aussitôt prononcées, qui variaient peu, qui devaient être inévitables.

« Tu as joui ? Combien de fois as-tu joui ? » J’étais allongée sur la terre par endroit encore humide après la pluie, à demi nue, la jupe retroussée jusqu’aux épaules. Les arbres se dressaient autour de moi, les nuages filaient, quelques chants d’oiseaux.

« Tu as bien joui, hein ? » J’étais debout, les mains écartées posées sur la machine à laver, le dos cambré et mon cul en arrière, tendu.

« Tu n’as pas joui, n’est-ce pas ? » J’étais juchée à califourchon sur ses cuisses, lui assis dans un fauteuil en cuir, le ventilateur faisait un bruit infernal et la pluie commençait à cogner contre les carreaux. J’avais envie de le frapper.

« Tu as envie de jouir, c’est ça ? » Il pétrissait mon cul, mon ventre, mes seins, il pinçait, tordait, un sourire sur ses lèvres fines, dans les yeux une satisfaction, du plaisir.

Jamais un homme ne m’a dit qu’il faisait l’amour pour la première fois.

Nous mangions une composition délicate, des fruits confits éclatants de couleurs, posés à fleur d’une crème légère qui n’en était pas tout à fait une, dont la consistance rappelait le nuage, et dont la couleur, verte, me faisait penser à la lumière de cette pièce, il y a longtemps, lorsqu’elle traversait le rideau et caressait le couvre-lit.

Dans les hôtels, lorsque j’entre dans la chambre, je n’accorde jamais beaucoup d’importance au lit, à la vue, à la couleur de la moquette. Je pénètre dans la salle de bain comme on s’introduit dans un sanctuaire, et souvent lorsque celui ou celle qui me précède ne porte pas trop d’attention à moi, je ferme les yeux. Je les rouvre et c’est devenu instinctif, j’évalue la propreté du carrelage, la douceur des serviettes que je vois pendre aux patères. J’actionne les interrupteurs, je jette un coup d’œil par la fenêtre, si fenêtre il y a, je vérifie le verrou. Il m’est arrivé d’accepter de passer des nuits dans une de ces chambres d’hôtel alors que le lit manifestement n’était pas confortable, ou trop petit, alors que la pièce ne comportait pas d’ouverture, alors que pour toute lampe de chevet, un néon était vissé au plafond. Il suffit que la salle de bain me convienne, que l’espace entre la douche et le lavabo soit suffisant, qu’un je-ne-sais-quoi de charmant, d’attirant, accroche mon regard.

Parfois, à Paris, me trouvant à un dîner, dans une soirée, je m’éclipse d’avec les convives et les danseurs, je m’aventure dans les couloirs, j’ouvre les portes, je m’assois sur le rebord des baignoires, je commence à me caresser.

« Tu aimes faire l’amour dans les salles de bain ? » m’a demandé mon hôte.

J’aime me masturber. Peu de temps après la nuit où je dormis chez Sonia, dans ma chambre j’entrepris de percer le mystère que les deux adultes m’avaient laissé entrevoir. Très vite mon corps d’enfant m’empêcha de m’aventurer loin, mais en me touchant chaque jour, lentement, à un âge où le corps se transforme presque à vue d’œil, j’appris à me connaître. Je ne sais plus quel acteur ou quel sportif alimentait mes fantasmes, mais je me souviens parfaitement de la sensation et de la texture des premiers poils qui apparurent sur mon pubis.

Il nous servait des cafés, le troisième au moins. Il avait sorti d’un recoin de la cuisine une bouteille d’un alcool ambré qu’il versait régulièrement dans deux verres minuscules et très épais. Je continuais de lui raconter.

Nous avons déménagé, vidé la grande maison, et mes parents, mon frère et moi avons investi un appartement vaste mais bizarrement agencé où il devenait impossible de m’isoler sans courir le risque d’être surprise. C’est dans cet appartement que je choisis la salle de bain comme lieu pour pouvoir laisser libre court à mes investigations intimes.

C’est hier alors que je dînais chez cet homme plus tout à fait inconnu maintenant, que j’écoutais, et qui m’écoutait, que les fils jusqu’alors invisibles de ma vie apparurent, blancs et brillants, finement tissés, ceux-là même qui reliaient mon épanouissement à mes frustrations, qui naissaient dans des régions lointaines et qui venaient s’ancrer, tout proche, dans les méandres de mes imaginations. Nous nous sommes regardés.

Ma mère est entrée, m’a-t-il dit, j’étais en train de me masturber sur mon lit au lieu de faire mes devoirs, ou de lire la Bible, ou de ranger ma chambre, elle ne m’a plus parlé pendant quatre mois. Je l’entendais pleurer parfois, elle maigrissait, et ma famille, mon père, ma tante, ma grand-mère, tous, se demandaient. Souvent je surprenais son regard posé sur moi, une tristesse immense dans ses yeux, et deux ou trois fois j’y ai descellé la peur. Elle croyait me protéger en taisant ce qu’elle pensait être un lourd secret, elle était pénitente et souffrait, elle avait honte de moi et se sentait coupable. Tous les jours elle allait à la messe, je la voyais prier, psalmodier, elle allumait des bougies, elle devint totalement mystique et se mura dans un silence chaque jour un peu plus lourd à supporter. Je ne reconnaissais plus ma mère, et mon père, loin de comprendre j’en étais sûr, disparaissait un peu plus encore, s’absentait de plus en plus longtemps, et n’avait d’autres mots pour expliquer le désarroi de sa femme que de dire qu’elle était devenue folle. Elle mourut, sans rien me dire, elle posa simplement sa main sur mon front un matin, une main décharnée, et j’haletais, et je lui dis d’une traite, sans respirer, avec une conviction que jamais depuis je n’ai retrouvée, la certitude implacable de l’engagement, que je l’aimais, que je ne voulais pas qu’elle meure, que je m’excusais, et que je ne recommencerais plus jamais. Et elle est morte.

C’était mon tour maintenant.

J’ai été surprise à maintes reprises alors que je faisais l’amour dans des lits, dans des jardins, dans des amphithéâtres de la faculté, dans des arrières cuisines de maisons de vacances. Parfois j’ai été maltraitée par des partenaires peu scrupuleux, trop pressés, trop jeunes. J’ai mal baisée, mal joui, j’ai pleuré et regretté. Et à chaque fois la salle de bain, toutes les salles de bain de tous les endroits du monde, est devenue pour moi un refuge indispensable. J’y trouvais l’eau pour m’y laver, la propreté, je pouvais y être nue. C’est dans la salle de bain de l’appartement où j’ai emménagé avec mes parents que j’ai eu mon premier orgasme, j’avais seize ans.

J’entrais dans la pièce, je m’étendais sur le sol. Il était dur, du carrelage d’un bleu très clair. Allongée sur le dos, raide au début, je regardais le plafond lisse et je sentais mon corps épouser peu à peu la dureté et la froideur de ce sol qui ne me trahissait jamais, ne grinçait pas, ne se froissait pas, comme s’il avait été conçu pour accueillir mes fesses, mes omoplates, mon crâne, les acceptant sans jamais rien changer. Il sentait tout, depuis le pointu de mes os jusqu’à la chair de poule de ma peau, et quand je baissais mon bassin et le posais, exerçant avec mon périnée des mouvements réguliers d’aspirations, comme des battements de cœur, il semblait que la fraîcheur du carrelage pénétrait par mon sexe et se propageait dans mon ventre. Avec deux doigts de la main droite je caressais mon clitoris, la main gauche à plat sur le sol, libre de l’effleurer, de le pousser, de le palper. J’aimais aussi, sur le ventre, sentir mes seins durcir, mes muscles se contracter, mon sexe mouiller le carrelage, je connaissais chaque rainure, chaque petit défaut. Mes genoux étaient souvent douloureux, je glissais une main derrière mes cuisses, j’enfonçais mes doigts dans mon sexe. Et la fraîcheur montait plus haut encore dans mon ventre, mes doigts qui connaissaient pourtant parfaitement mon corps, soudainement pinçaient plus fort, frottaient, frappaient, arrêtaient. Et c’était comme si mon sexe s’ouvrait, comme s’il s’offrait, comme s’il ne brûlait que d’une chose, être rempli par un autre sexe. Et mes doigts de plus en plus rapides, et ma bouche qui léchait mon bras, embrassait en murmurant le creux de mon aisselle. Ma main gauche pétrissait mon téton dur comme de la pierre, si dur qu’il se confondait avec le carrelage. La chaleur ou le froid, ou la plénitude, gagnait tout mon ventre, et ma bouche encore, le désir d’être pleine, de sucer une queue, mes lèvres qui laissaient des mots s’échapper. Je voulais être pénétrée, me sentir remplie par une queue, mon sexe s’ouvrait sur le carrelage froid de la salle de bain, je coulais, mes jambes tremblaient et une voix que je ne connaissais pas réclamait, implorait, soupirait. Je relevais mes hanches, je faisais basculer mon bassin, je jouissais.

Longtemps, je n’ai pas joui en faisant l’amour avec un homme. J’ai été libre d’aimer les esprits ou les épaules ou la démarche, l’humour ou les baisers. Toujours, près de moi il existait une salle de bain dont le carrelage comblait tous mes désirs, éradiquait mes frustrations, conduisait mon corps vers des plaisirs inégalés.

Nous avions terminé nos cafés, vidé les petits verres d’Armagnac, je venais de lui raconter comment la masturbation m’avait longtemps empêchée de jouir avec un partenaire, il m’avait parlé de l’urgence qu’il avait d’éjaculer n’importe comment et n’importe où, sans avoir le temps d’aimer ou d’en caresser l’espoir. Les seules femmes que j’ai aimées, me dit-il, je ne les ai jamais touchées. Je lui ai demandé s’il était prêt à partir, tout de suite, et nous avons pris nos vestes, mon sac, nous avons dégringolé les six étages. Immédiatement, avant même que nous réalisions que nous n’étions plus assis l’un en face de l’autre dans la cuisine de ce grand appartement parisien, un taxi comme par miracle s’est arrêté.

Dans la chambre 111 de l’hôtel Mama Shelter trônait un grand lit blanc qu’éclairaient de part et d’autre deux lampes à la lumière sombre. Le plafond était bas et peint en noir, des petites billes comme des étoiles étaient disséminées. Je grimpais sur le lit, habillée, et je regardais par la baie vitrée. Je l’attendais, il était entré subitement dans la salle de bain, envie d’uriner m’avait-il dit. Bientôt il m’a rejointe. J’avais demandé à la réceptionniste une chambre avec la salle de bain la plus spacieuse possible. Il m’a dit que l’éclairage était bien, que les serviettes étaient blanches, que le carrelage brillait. Je lui ai pris la main, il m’a aidée à descendre du lit, je l’ai entraîné à nouveau dans la salle de bain.

Il était assis sur la lunette des toilettes, en face de moi, exactement. A droite le lavabo et dans mon dos la baignoire. La pièce était aussi blanche que la chambre pouvait être noire. Il y avait le même système d’éclairage, et je constatais qu’effectivement le linge très blanc, moelleux, conférait à l’endroit une saveur hospitalière. Je me suis tournée pour ne plus le voir. Je me suis déshabillée lentement, méticuleusement, et je me suis assise nue sur le sol carrelé. Il voyait ma nuque, mes épaules, mon dos, mes reins, la naissance de ma raie, mes fesses posées qui soutenaient mon buste, leur blancheur qui épousait la blancheur du carrelage. J’ai relevé les genoux, j’ai fait pivoter mon corps, je me suis retrouvée face à lui. J’ai écarté les jambes et me suis inclinée en arrière, mes épaules ont touché terre à leur tour. Je suis restée un moment comme ça, avec juste les os de mes omoplates, le bas de mes fesses et mes talons en contact avec le sol. J’ai laissé le froid s’insinuer, pénétrer comme lorsque je m’immerge dans une eau très froide et qu’il ne s’agit plus de froid ni d’inconfort, mais d’une sensation particulière, nouvelle et excitante. Mes mains ont saisi mes seins. Et puis il s’est déshabillé lui aussi, il s’est allongé à côté de moi, dans l’autre sens, son pied a touché mon épaule, mais je ne l’ai pas senti, je regardais le plafond. J’ai caressé mon ventre et mon index s’est posé sur mon sexe. Nous avons commencé à nous masturber, et pendant un long moment je n’ai pas tourné les yeux vers lui. Lorsque dans mon corps le désir est devenu impérieux, j’ai regardé sa queue et sa main qui la branlait. Tête-bêche, encadrés par des toilettes, un lavabo et une baignoire, nous avons joui presque en même temps.

Evidement, nous avons dormi dans le grand lit blanc de la chambre noire, et ce matin il n’était plus tout à fait cet homme inconnu qui m’avait invitée à dîner chez lui. Nous avons bu un café sur la place en face de l’église, celle qui ressemble à une place de village. Il était onze heures, nous nous sommes séparés aux alentours de midi.

Categories: histoires courtes

4 Responses so far.

  1. Anonyme dit :

    j’ ai vraiment trouvé ca tres bien écrit, continu, c est une très bonne idée d’utiliser ce talent!
    cette lecture me fut agréable,………….
    elodie

  2. jfp dit :

    j’ai 3 salles de bain et tous les disques du blues explosion chez moi !!!!

  3. Un connu Inconnu dit :

    Quand je pense qu’à l’époque je suis passé à deux doigts de faire l’amour avec vous, les regrés m’envahissent, très bonne écriture, continuez chère Marie..