marie dubosq

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Poste par marie le 20 - fév - 2013

stigma, extrait de la saison 2

Voici un extrait de la deuxième partie du roman où l’on assiste au retour de SACHA dans sa maison du continent…

« Je pars tout à l’heure, je quitte l’île. Mon sac est presque prêt. Comme chaque année, il est moins lourd qu’à l’arrivée. J’ai laissé à Sirius les quelques livres ramenés du continent, ceux que j’ai lus pendant l’été. Il y en avait beaucoup cette fois-ci, plus que par les années passées. J’ai remplacé mon habitude d’aller courir sur Hunter Street le matin, de m’accroupir au bord de l’eau et de ne rien faire d’autre, de me promener au hasard des rues, de discuter avec les commerçants. A la place, je suis allée chaque jour m’asseoir ou m’allonger sur l’herbe à Saint Davids Park, et j’ai lu. Parfois j’y suis restée jusqu’au soir.

Je comprends Sirius qui habite sur son île depuis si longtemps, qui chaque jour salue les mêmes personnes, emprunte les mêmes chemins, se rend dans les mêmes magasins. Sirius à qui il suffit de varier d’un pouce une toute petite trajectoire pour  transformer son espace. Il ne se lasse pas, il explore.

Mon avion est à midi. Je rentre chez moi. J’aurai le temps pendant le mois qui vient d’aménager la chambre pour Mortù, je prendrai soin aussi de faire plaisir à Stepan, je l’aiderai à organiser son festival. J’ai aussi tout un tas de papiers à réunir, des dossiers à compléter, et je veux profiter de la fin de l’été.

J’aime rentrer à la maison en marchant depuis le centre de la ville. J’arrive dans mon quartier, aux abords de ma rue, avec au bout la voie ferrée qui rompt avec le schéma des artères et des avenues de la ville. La plupart sont droites et interminables, et il faut être initié pour les différencier les unes des autres. Et puis, après la longue marche, après être passée devant des dizaines de maisons aux volets ajourés, bordées par de fines et basses barrières, je franchis le portillon du numéro 28 de Knowles Street. D’emblée je goûte ce moment, retrouver la maison et percevoir de la rue qu’elle est vivante et occupée. La maison.

Avec quel plaisir j’entre, tout de suite happée par le couloir et attirée vers la pièce du fond dont la porte-fenêtre est ouverte elle aussi. Je traverse et je sors dans le jardin.

Les travaux ont bien avancé, Stepan est resté tout l’été. Il a passé des oraux de rattrapage à l’université, avec succès, et s’est consacré à la construction du shack où doit se tenir le festival. C’est confondant… Je me croirais à Granville ou quelque part sur l’une des côtes de l’île. Il y a le reflet de la tôle ondulée, le toit pentu, les fenêtres rectangulaires sur trois côtés.

Il est tout seul à l’intérieur, les autres sont peut-être à la plage. Je sais que Paula occupe son été avec un jeune type qu’elle a rencontré en cours l’année dernière.

Je regarde Stepan, il ne m’a pas vue. Il est penché sur le bar en bois, il ajuste des tasseaux, nu comme un vers. Sur sa cuisse, la tâche de naissance s’estompe je crois. Peut-être est-ce parce qu’il vieillit. Quand il avait dix ou douze ans, la peau était plus rose, plus fripée, tout du moins, c’est ce qu’il m’a dit. Elle n’a jamais pris le soleil comme le reste de son corps. Je me souviens, la première fois que j’ai vu cette marque, la surprise a dû se lire sur mon visage, Stepan a été vexé. J’ai passé mes doigts sur sa cuisse, j’ai lu le paysage qu’elle dessinait, j’ai senti la différence de texture, aucun poil, je lui ai dit que je la trouvais belle mais qu’il était incroyable que jusqu’à aujourd’hui je ne l’ai jamais remarquée. Cela fait maintenant seize ans que nous nous connaissons, je venais juste de fêter mes dix-huit ans quand il me l’a montrée pour la première fois.

Il faut vraiment qu’il se croit seul pour bricoler ainsi, tout nu, pour laisser voir le jour à sa cuisse qu’il a toujours soigneusement camouflée en portant des pantalons, des bermudas, jamais de short, même pour aller se baigner.

Stepan est de plus en plus beau.  Il se dégage de lui une assurance telle, une confiance absolue en lui-même, que quiconque l’approche se sent immédiatement séduit par lui. Il est doué de certains talents, c’est vrai, il est toujours champion du monde de skateboard. C’est un bel orateur aussi, la voix grave, le regard sombre, il manie très bien les mots, il est convainquant, toujours. Il a à sa botte tout un tas de jeunes filles à peine majeures et amoureuses, qui se livrent des batailles sans merci pour passer un moment avec lui, pour obtenir de lui un sourire, un mot gentil. Il a rendu folle une prof de théâtre cette année, on dit qu’elle a quitté mari et enfants, qu’elle est devenue dépressive. On le dit.

Je suis partie il y a un mois, il n’est pas retourné sur l’île cette année. Il travaille d’arrache-pied, avec une pugnacité qui le rend encore plus attirant. Je suis certaine que le festival qu’il a imaginé sera une totale réussite, il parviendra à créer un événement dont se rappelleront longtemps les acteurs, les spectateurs, tous ceux qu’il a entraînés avec lui dans cette aventure. Il est ainsi, il ne peut faire les choses seul, il a besoin de donner un sens collectif à ce qu’il entreprend.

Stepan, quelque chose se produit, tu tournes la tête et tu me vois. Tu as le même sourire qu’il y a seize ans. Sauf qu’aujourd’hui, j’y vois le désir, immédiat, incontestable. Je suis toujours un peu gênée par ton regard souverain, je prends dans ma poche mon paquet de cigarettes, je cherche le briquet, je fume.

« Il y a une lettre pour toi, sur la table. » me dis-tu. »

(…)

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