marie dubosq

auteur

Poste par marie le 24 - oct - 2010

instant chaviré

J’ai quitté les Instants Chavirés samedi soir, après le concert. Deux jours plus tard, c’est un moment différent que je vis, une autre scène, un changement radical et non plus une simple variation : je me rapproche de Séville et le soleil se lève. J’ai conduit pendant quarante huit heures, j’ai coupé le moteur cinq fois dix minutes, j’ai bu dix cafés, deux à chaque arrêt. J’ai vu le soleil se lever hier, se coucher, j’ai roulé, j’ai pleuré parfois, mes doigts ont essuyé nerveusement mes joues. Je me suis dis putain, ça au moins tu ne l’écriras pas, tu n’en parleras jamais, c’est pas ton style les road movie pour adolescent, aucun intérêt, déjà fait. J’ai dessoûlé sans m’en rendre compte, au fur et à mesure des heures et des kilomètres, et j’ai fini par m’arrêter sur une aire de station service.

Je roulais sur l’autoroute en direction du sud. Est-ce qu’on vendait de l’aspirine sur les aires d’autoroute ? Des visages, des noms derrière mes tempes. Qui sont ces gens ? Mais qu’ai-je bu pour avoir si mal au crâne ce matin ? Dans mon cerveau une idée comme une évidence est apparue : une petite ligne de coke, et pourquoi pas ? Ma main gauche tenait le volant, l’autre fouillait dans mon sac. Poche intérieure, zip, le sachet. Je l’ai regardé un moment, il contenait un demi – gramme peut-être. J’ai vu passer un panneau blanc aveuglant, puis un panneau marron qui indiquait un château quelque part, un troisième enfin, quadrillé qui m’apprit que la prochaine aire de repos était à vingt cinq kilomètres. Merde. Mon crâne était un orchestre à percussions mais j’ai décidé de savoir attendre. J’ai fait passer de droite à gauche le sachet, ma main a fouillé à nouveau dans mon sac à la recherche d’un paquet de cigarettes. Je me suis souvenue, mon père pouvait conduire avec ses genoux, cela suscitait chez moi une admiration sans bornes lorsque j’étais môme. J’ai constaté que j’étais moins douée que mon père mais que je ne me débrouillais pas trop mal. Coup de klaxon, une espèce d’animal noir et énorme m’a jeté des regards furibonds dans le rétroviseur. J’étais sur la file de gauche. Le type dans son corbillard me collait au train. Je transpirais. Merde, je roulais à cent quarante, le sachet de coke dans la main gauche, le paquet de clope dans la droite. J’ai lâché le volant, c’est vrai j’ai lâché le volant mais pas longtemps, il fallait que j’atteigne le briquet dans le vide poche côté passager. Coup de klaxon, le deuxième, j’ai sursauté. Et puis, je ne sais pas, mais le petit sachet s’est évadé d’entre mes doigts et je me suis redressée, vite, et au lieu de m’en ressaisir ma main l’a poussé dehors par la fenêtre.

Je me suis quand même arrêtée sur l’aire annoncée à vingt-cinq kilomètres, je me suis allongée sur un carré d’herbe, plutôt, je m’y suis effondrée. J’avais déjà beaucoup pleuré à certains moments de ma vie, mais cette fois-ci, j’ai dû établir une sorte de record, un paquet de larmes, j’ai pleuré et je me suis endormie.

Categories: histoires courtes

One Response so far.

  1. Anonyme dit :

    moment blanc